Plein les yeux, plein le ventre, plein les jambes - Episode 1/6

Publié le 17 Juillet 2011

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Dimanche 3 juillet.

Cette fois ça y est. Jour J : départ pour mon objectif principal de l’année, l’Etoile Savoyarde. Ma première expérience avec la course à étapes. Je pars donc avec un sentiment mêlé d’excitation et d’appréhension. Sans oublier une petite pointe de tristesse à l’idée d’abandonner ma petite famille toute une semaine durant.

1h40 d’autoroute pour rejoindre Myans, à quelques encablures de Chambéry et j’arrive devant la salle des fêtes du village. Il y a déjà des tentes plantées autour et des camping-car garés à proximité. Je trouve une place pour la voiture et juste derrière un morceau de pelouse plat où je décide de monter la tente. Bien entendu, une fois que j’aurais terminé je vais me rendre compte que je me suis mis pile à l’aplomb d’un éclairage public… qui heureusement restera éteint toute la semaine.

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 Après avoir terminé mon installation je pénètre dans la salle des fêtes puis ressort de l’autre côté, là où sont installés les tables et les bancs où nous mangerons tous les soirs. Participants et bénévoles sont là, en train de discuter et de faire connaissance. L’ambiance est décontractée, conviviale, bon enfant. Tout de suite je ressens l’enthousiasme qui anime les participants ; ce n’est pas simplement une course, c’est un rassemblement de passionnés. Je suis accueilli par Carmen, 2ème de la première édition et 2ème de l’Ultra Trace de St Jacques (entre autres…)

http://farm7.static.flickr.com/6136/5945907866_54d61cbd6c.jpgJe fais la connaissance de Nicole et de Gérard Denis dont le camping car est décoré aux couleurs de ses exploits de coureur : Transe Gaule, TransEurope et bien d’autres. Je rencontre Alain, vainqueur de la 442 l’an dernier et qui est venu jusqu’ici en vélo depuis la Vendée. Je mets un visage sur Cyril dont j’ai lu et relu l’article sur la première édition de la course dans UFO Magazine. Je me fais connaître auprès de Laurent qui parle de l’organisation de sa course de 200 km non stop en Ardèche l’an prochain et dont nous avons déjà discuté sur le forum ADDM. Tout le monde papote, il ne manque plus grand monde, aussi Michel Codet – le grand manitou de la course -  sonne le rassemblement à 17h15 pour le briefing. Nous nous retrouvons à l’intérieur de la salle des fêtes : bénévoles et coureurs bien sagement assis à écouter les déclarations de la CoCo (Codet Connection ; alias Michel et Gilbert Codet). Consignes de course, système de fléchage, horaires, organisation des journées à venir : tout y passe. Et pour finir la présentation des coureurs, moment sympathique pour que les petits nouveaux comme moi apprennent qui est qui. Il faut dire qu’il y a un paquet de noms connus de la course à étapes avec plusieurs concurrents qui se sont déjà illustrés sur des épreuves réputées (TranseGaule, Mil’Kil’, TransEurope…) Cyril a ramené la coupe de la combativité qu’il avait remporté l’an dernier après s’être abimé la cheville dans la 4ème étape et fini la course en marchant avec des bâtons malgré la douleur. Cette coupe est donc remise en jeu… Une fois les discours terminés, nous sommes invités à venir récupérer notre tee-shirt de la course ainsi que nos dossards et l’éco tasse ; pas de gobelets plastique sur les ravitaillements.       

Il est déjà 19h et comme ce sera le cas toute la semaine, il est temps de passer à table. Les bénévoles se plient en quatre pour nous offrir un service 4 étoiles. Dès ce premier repas, je comprends que la réputation d’hospitalité de la course n’est pas usurpée… C’est également un excellent moyen pour apprendre à connaître les autres coureurs que l’on va cotoyer pendant une semaine. Manu et Céline nous rejoignent, on n’attendait plus qu’eux : nous sommes maintenant au complet. Je suis assis à proximité de Martine et Robert Bertin, de Maurice Chenais. Les anecdotes et les souvenirs de la TransEurope narrés par Gérard Denis et Roger Warenghen ponctuent ce premier repas commun en lui conférant un bel accent d’ultra. Quelques discussions digestives plus tard, il est 21h20 lorsque la majorité des coureurs décide d’aller se coucher. Demain, comme tous les autres jours, le départ de l’étape sera donné à 7h pétantes. Je règle le réveil de ma montre à 5h30. La nuit sous la tente est courte et agitée. L’excitation m’empêche de m’endormir. Dans ma tête tout s’embrouille un peu. Je pense à mes enfants, à la journée du lendemain, première des 6 étapes d’une course dont je vais tout découvrir. Je pense à l’entrainement accompli depuis des mois et à la chance que j’ai d’être ici. Je me demande si je vais être à la hauteur et si je n’ai pas eu les yeux plus gros que le ventre.

Lundi 4 juillet. Etape n°1 : 53 kms, 650m D+, 5h49'

J’ai dormi quelques heures en tranches de 40 minutes. Les yeux grands ouverts à 5h10, j’attends patiemment 5h30 pour me lever et filer sous la douche. Il y a 3 cabines de douches installées dans un bungalow mobile à l’extérieur de la salle des fêtes. A dix mètres de la tente, pratique pour moi. Je récupère savon et serviette et file me réveiller sous la douche où je vais croiser Gérard Denis, comme ce sera le cas tous les jours.

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A peu près réveillé par l’eau tiède de la douche, je rejoins les autres dans la salle des fêtes un peu après 6h du matin. Certains sont déjà assis aux tables du petit déjeuner, d’autres sont en train de se préparer. Une poignée de coureurs a choisi l’hébergement sur le sol de la salle. Chacun a choisi son coin, au rez-de-chaussée ou à l’étage. Michel Codet revient de la boulangerie avec des sacs de pain frais qui sort du four, sa croûte encore chaude. A disposition, plusieurs pots de confiture maison, il y en a pour tous les goûts : mirabelle, myrtille, fraise, abricot, framboise… Moment convivial où les visages sont détendus malgré le manque de sommeil général. L’excitation est palpable, nous avons tous très envie de nous lancer dans le bain. Une fois l’estomac rempli, je vais récupérer mes affaires pour l’étape du jour. Porte bidons, lunettes de soleil et bob : le soleil va certes chauffer gentiment aujourd’hui mais nous allons rester dans la vallée.

6h45 : je suis prêt, je rejoins les coureurs qui le sont aussi, et nous nous dirigeons doucement vers la ligne de départ. Damien est prêt lui aussi, avec son vélo et sa remorque pour son matériel vidéo et photo afin de faire un reportage sur la course.  

http://farm7.static.flickr.com/6145/5945106827_11964bac9f.jpgCette première étape est une étape de démarrage, roulante, courte et sans gros dénivelé. Idéal pour se mettre en jambes. Nous nous rassemblons tous les 26 sous l’arche de départ et c’est le drapeau de Savoie qui nous donne le signal de départ. Dès le départ ça part vite devant. Je freine des quatre fers pour me caler à une allure de sénateur (à peine plus de 9 km/h). Les sensations sont moyennes, mes jambes sont lourdes, je pense tout de suite aux étapes à venir et je ralentis. Je démarre avec Christophe et Olivier qui sont béotiens comme moi en matière de course à étapes ; exception faite de Christophe qui a tenté la TranseGaule il y a quelques années avant de jeter l’éponge. Nous nous éloignons de Myans par les petites routes goudronnées bucoliques, en direction du lac de St André. Je ne fais pas trop attention aux autres coureurs partis devant, à peine plus à ceux qui me suivent. Je respire et prend mon rythme en toute tranquillité. Les kilomètres passent en toute aisance respiratoire mais en ce qui concerne les jambes, ce n’est pas trop ça. Je reste donc sage à ce rythme pépère qui permet tout de même de faire défiler le paysage. Le Mont Blanc immaculé apparait sur notre gauche, je m’arrête pour faire quelques photos. Nous laissons Myans ainsi que le massif des Bauges dans notre dos pour mettre le cap sur le fond de la vallée.

http://farm7.static.flickr.com/6012/5945369105_31f6e91ee0.jpgJ’ai rejoins un groupe de coureurs partis devant moi. Il  y a là Anny, Monique et Joël. Le rythme est tranquille, ça me va bien. Nous courons ensemble un moment puis nous rejoignons Cyril avec qui nous formons maintenant un groupe de 5 coureurs. La route monte peu, nous courons à présent près de champs de maïs après avoir changé de direction, une longue ligne droite permet d’apercevoir les coureurs qui nous précèdent de quelques centaines de mètres. Les flèches noires sur fond orange posées par Gilbert le matin même sont très facilement repérables, sur les panneaux de signalisation. Ne sachant pas trop, j’ai emporté le road book de l’étape dans la poche dorsale du porte bidons mais je ne m’en servirai pas de la journée. Le fléchage est impeccable, tombe pile à hauteur des yeux dans les carrefours. Et lorsqu’il n’y a pas de structure métallique fixe suffisante, Gilbert a peint un « ES 1 » sur le sol, comme il nous l’a expliqué la veille lors du briefing. Bref, tout se passe bien, si ce n’est mes fichues jambes que je sens dures et empruntées. Je me demande pourquoi, je n’ai pas couru depuis 3 jours après avoir enchainé 80 jours consécutifs. Est-ce une explication ? Je n’en sais rien. Dans les petites montées du parcours, je marche. Pas très vite. « Economie » voilà mon leitmotiv. Je pense à la journée du lendemain qui s’annonce, étape de montagne longue et vallonnée. Je dois garder des forces alors je m’économise, reste en-dedans. Mais dans cette montée, un coureur me double, il s’agit de Daniel, l’homme aux 7 TranseGaule. Alors que je marche, il me dépasse en courant ; s’arrête quelques instants pour marcher puis reprend sa course. C’est efficace, bientôt Daniel m’a devancé de plusieurs centaines de mètres ; et cela me donne des idées… Je décide de faire du fractionné dès que la route s’élève, même si c’est une pente faible. Lentement je recolle à Daniel et ensemble nous arrivons au ravitaillement. Les ravitos sont disposés tous les 10 kilomètres environ ; selon le profil de l’étape et la possibilité de s’installer correctement pour eux. 2 bénévoles par ravitaillement, 5 ravitaillements par étape. C’est une constante générale, qui ne varie qu’à de rares exceptions près (étape longue = 6ème ravitaillement). Lorsque nous arrivons, c’est un havre de paix que l’on retrouve : des bénévoles souriants qui nous applaudissent et nous encouragent. Fruits, tomates, fromage, TUC, eau plate, gazeuse, coca… il y en a pour tous les goûts. Je tourne au melon pour la fraicheur, sans oublier un morceau de fromage pour la gourmandise, et je refais le niveau de mes bidons : eau plate + eau gazeuse jusqu’à la moitié de l’étape puis eau plate + eau gazeuse dans un bidon et eau plate + coca dans le second bidon.

http://farm7.static.flickr.com/6141/5945667054_3f299ea1f2.jpgLorsque nous repartons du ravitaillement j’ai rejoins Mimi Chevillon qui avance à son rythme, elle me parle de cette même étape de l’année dernière sous une canicule éreintante. Lentement Daniel nous a rejoints et je me cale sur son allure. Mes jambes sont toujours lourdes, pire, je ressens comme un début de crampes au niveau des adducteurs. Je n’avais pas ressenti la même désagréable impression en course depuis la Sainté Lyon 2008. Je continue mon petit train en essayant de me détendre au mieux, profitant de l’allure de Daniel. Dans les petits raidillons qui parsèment le parcours, j’adopte une allure à la Cyrano : 40 secondes de course puis 20 secondes de marche. Au début j’ai l’œil rivé sur le chronomètre et rapidement le corps prend le rythme et je sais gérer ce découpage à l’instinct. Tout de suite je constate que c’est efficace : j’avance tout en récupérant bien dans les périodes marchées. Du coup je reviens sur Guy juste après l’avant dernier ravito.

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La suite de l’étape est un peu longue, notamment la partie sur la piste cyclable en bord d’autoroute. J’ai maintenant récupéré Bernard sur ce dernier ravito ; pas fâché de savoir que c’est bientôt fini. Les sensations sont toujours moyennes, je m’économise sur cette piste cyclable en marchant quelques secondes tous les kilomètres. J’échange quelques mots avec Bernard qui m’explique qu’une douleur au genou l’empêche de courir comme il le souhaite. Il est obligé de composer avec et de modifier ses appuis et sa façon de courir ; ce qui occasionne des douleurs de compensation. Mais il garde le sourire, content d’être là. Derrière, Daniel me suit et nous finirons l’étape du jour dans cet ordre. Je suis soulagé de couper la ligne d’arrivée sous les sifflets enthousiastes de Gilbert qui attend le retour de chaque coureur près de la ligne d’arrivée. Une petite douche après, je constate avec plaisir que je suis frais et que le corps semble bien encaisser cette première étape. Je vais ensuite me restaurer ; dans la salle des fêtes c’est ambiance colonie de vacances, chacun fait comme il veut, plusieurs saladiers sont à disposition, on se sert, on fait comme chez soi. Les bières sont au frais, la récupération se passe bien. Tout le monde papote, certains sont partis faire la sieste, d’autres sont allés à la piscine de Michel gracieusement mise à disposition des coureurs. Je mange en parlant de l’étape du jour avec Daniel puis je vais m’allonger une demi-heure sur mon tapis à l’ombre du platane à proximité de ma tente. Petit moment de silence et de calme qui repose.

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Finalement l’heure du repas arrive vite, 19h et nous nous mettons à table, je me retrouve à côté de Gérard et Roger. C’est l’occasion d’une bonne rigolade autour de l’explication d’une théorie exposée par Gérard qui la tient d’un médecin sur la TranseGaule : porter plusieurs jours de suite les mêmes chaussettes sales permet d’éviter les infections. Gérard appelle ça le « champ stérile » et on écoute ça avec délice. Trois jours plus tard quand j’en parlerai à Carmen, elle me dira être au courant et avoir déjà entendu cette histoire…

Un peu après 21h30 après un repas préparé de main de maître par Michel et Jean Louis (cher et tendre de Marie Jeanne qui participe à la course), j’imite plusieurs de mes compagnons et je file sous la tente. Un peu de lecture pour trouver le sommeil, toujours difficile, et je m’endors pour une nuit découpée en tranches. Je pense à l’étape du lendemain avec plaisir ; étape la plus longue de la semaine qui va nous emmener dans les Bauges ; je sens que je vais aimer. Et en même temps j’espère que j’aurais de bonnes jambes. Mais curieusement cette seconde nuit, je prends confiance. Après cette étape de 53 km, je me sens bien, pas fatigué, mais je me demande comment je serais le lendemain. Sous la tente, la chaleur est moite et je fais un peu de claustrophobie. J’accueille le jour avec plaisir dès 5h30 le lendemain matin.

Classement Etape 1 :

1 MOROS Jean-Jacques 4:11:33
2 DAVID Alain 4:43:38
3 MARTIN Eric 4:49:18
4 HILDEBRAND Carmen 4:52:03
5 BERTIN Robert 5:15:27
6 PAROLI Jean-Claude 5:20:24
7 BRUEYRE Laurent 5:24:46
8 WARENGHEN Roger 5:35:10
9 DACUNHA Manuel 5:35:10
10 CHENAIS Maurice 5:41:46
11 VIGUIE Jean-Philippe 5:41:46
12 DERRIEN Franck 5:44:06
13 DUBOURDIEU Guilhen 5:49:13
14 MULLER Daniel 5:54:20
15 CHEVILLON Bernard 5:54:20
16 MOROS Monique 5:59:36
17 RICHARD Joël 6:06:10
18 CHEVILLON Mimi 6:10:35
19 MONOT Anny 6:11:00
20 CHOMONT Guy 6:15:37
21 DUPONT Olivier 6:20:33
22 LACHMANN Hans 6:47:11
23 KLEIN Cyril 6:50:02
24 HILLAIRE Christophe 6:50:50
25 SIMONS Marie-Jeanne 6:52:20
26 DENIS Gérard 6:55:30


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Rédigé par Oslo

Publié dans #Ultra - Course

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A
<br /> Excellent. Je trouve enfin le temps d'attaquer mon feuilleton de l'été. :)<br /> <br /> <br />
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M
<br /> Sur la théorie du champs stérile, a été mesuré par un étudiant américain en médecine, le taux de microbe sur un jean porté quinze jours d'affilé, et bien le taux est le même à t0+3j et à t0+15j<br /> (mais pas l'odeur). Comme si au delà d'un point il n'y avait plus encrassement, car plus la place...de l'eau au moulin du champ stérile<br /> <br /> <br />
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M
<br /> Bonne nuit sous la tente, j'attends la suite. Chaussettes propres ou pas ? ;-)<br /> <br /> <br />
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