24h d'Aulnat : découverte de la Circadie !

Publié le 9 Novembre 2010

Samedi 6 novembre – 7h00

 

Je démarre la voiture, le sac de sport chargé dans la voiture. À mes côtés, Mathieu. Dans 4 heures, nous prendrons le départ de notre premier 24 heures.

En ce qui me concerne, beaucoup de questions, quelques doutes, un peu d’appréhension aussi. Je sors d’une rhino et d’un rhume qui m’ont pas mal séché, en plus de 2 semaines de travail bien chargées. Bref, je n’ai pas fait les stocks de sommeil nécessaires. Côté entraînement, je n’ai pas été très appliqué depuis Millau. Pas mal de sorties à allure cible (8 à 8,5 km/h) qui se sont avérées assez pénibles à tenir en raison de la vitesse basse qui oblige à se freiner en permanence.

 

Première étape de la journée : un arrêt rapide à Bonson, près de St Etienne pour récupérer Daniel, mon beau-père qui m’avait suivi sur les 100 km de Millau ; et Philippe qui en sa qualité d’entraîneur de l’équipe de France de 24h vient encadrer certains top coureurs… Nous partons donc tous les quatre direction Aulnat.

Le voyage se passe bien, dans la bonne humeur et la détente. Philippe confie qu’il est venu voir certains concurrents pour décider qui aurait une place en EDF. Mathieu et moi demandons s’il y a 2 places mais il faudra faire plus que 240 km, ce qui ne devrait pas être trop possible tout de suite :o))

 

Samedi – 9h30

 

Arrivée sur les lieux du 24 heures. La température est clémente, même si le plafond nuageux est relativement bas, à tel point qu’on n’aperçoit pas le sommet du Puy de Dôme. Nous déchargeons les sacs et filons au retrait des dossards. On laisse une pièce d’identité en échange de la puce qui va rester accrochée à notre cheville les 24 prochaines heures… Ensuite, préparatifs classiques à toute course, avec une petite variante : choisir son tatami pour venir s’y reposer pendant la nuit. Bon, Mathieu et moi sommes d’accord sur un point : le but sera justement de ne pas venir se reposer pendant la nuit. Mais il faut quand même prévoir au cas où, sans compter qu’avoir un coin à soi où ranger ses affaires, c’est utile… Je trouve Line qui est déjà prête, on papote un moment puis je jette mon dévolu sur un tatami juste à côté de celui de Maria qui a gagné à Aulnat l’an passé. Philippe est à côté d’elle ; il y a une place en équipe de France féminine pour elle si elle améliore sa marque de l’an passé… Je me dis que je ne devrais pas beaucoup la voir près des tatamis pendant la course.

 

C’est l’heure du rangement. J’ai une pensée pour Fab***** et ses récits de 24h que j’ai pu lire avec notamment tous les détails sur son organisation millimétrée pour les fringues, ravito etc… Bon, je n’ai ni son sens de la pratique ni son niveau ; aussi c’est beaucoup plus rock and roll et pour tout dire, pas du tout optimisé. Pas de ravito perso. Petite explication : il y a une zone de ravitos communs sur la ligne de comptage des tours. Installée sous des bâches, il y aura là de quoi manger et boire, du sucré comme du salé, à profusion pendant toute la course. Mais pour ceux qui le souhaitent, juste après sont prévus des emplacements persos. Je n’ai rien prévu de perso en terme de ravito. Et pour les fringues, j’ai décidé de rentrer dans le gymnase pour me changer lorsque le besoin s’en fera sentir. De toute façon la météo est annoncée clémente, alors l’équation sera simple.

Sur le tatami en revanche, il faut préparer un minimum les affaires de rechange : affaires de pluie dans un coin, affaires chaudes dans un autre, crème NOK, slip et chaussettes ailleurs… J’ai plus ou moins prévu de découper la course en 4 tranches de 6 heures chacune avec pour idée de faire une pause de 15’ à la fin de chacune des 3 premières tranches. Ce sera l’occasion de s’arrêter un moment et de se changer entièrement. Cela doit faire environ 17h, 23h et 5h du matin ; ce qui correspond environ aux changements de température que je prévois en ma qualité de météorologue averti ! De son côté Mathieu prépare ses affaires de change également. C’est marrant de se dire qu’il n’est pas encore 11h du matin mais qu’il faut penser à organiser un minimum les affaires pour la nuit, en pensant à la fatigue, ne pas avoir à chercher dans les sacs… De son côté Maria est prête, on papote de tout et de rien.

 

Samedi – 11h00


Voilà, nous y sommes. Je me tiens prêt, en corsaire et en tee shirt malgré pas mal d’hésitations. 133 coureurs sont sur la ligne de départ. Le temps de saluer les éminents membres des Barjots des Cotos : Franck, Christophe et Dominique. Et puis c’est parti ! Le tour mesuré le matin même fait 1180 mètres et des poussières. On y va et sûrement que certains débutants comme moi y vont sans trop savoir dans quoi l’on s’embarque.


Nous allons donc découvrir la piste puisque 1180m à parcourir pendant 24h, on s’est dit qu’on aurait le temps de faire du repérage, pas la peine de le faire avant ! Donc c’est simple : après la ligne de chronométrage c’est la ligne droite des stands, euh, du ravito, puis virage à 180 à gauche, 20 m de droit puis nouveau virage à gauche, ligne droite des stands, euh, des cabinets :o))) puis virage à droite en montée, petite ligne droite avant un virage à gauche en descente et on quitte le goudron pour la partie en stabilisé : une petite portion à peu près droite avec un léger virage à droite puis on arrive sur la partie qui fait mal aux pieds avec des graviers pointus et assez gros sur 30 mètres avant un virage à gauche à 180° une très courte ligne droite sur du goudron puis à nouveau un virage à gauche à 180° et une portion relativement droite sur du stabilisé avant le virage à droite et une descente qui entraîne puis on longe un stade de foot dans la longueur puis après un virage à gauche dans la largeur, petite remontée pour repasser sur le goudron et nouveau virage à gauche à 180°, ligne droite assez longue avec petite descente au début qui fait du bien, et enfin virage à droite pour repasser sur la ligne de chronométrage. Bon ça a l’air compliqué comme ça mais après quelques heures, on connaît le parcours par cœur.

 

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Je pars sur un rythme que j’estime bon. C’est pourtant bien là tout le nœud du problème… J’ai prévu de courir à 8,5 km/h environ. En fait j’ai réalisé quelques sorties de prépa à cette vitesse-là, voire moins. J’ai lu un peu partout qu’il valait mieux éviter de partir 1km/h que sa vitesse visée. Je n’ai pas voulu prendre le Garmin avec moi, souhaitant courir purement aux sensations, aidé, il est vrai, par le chrono qui affiche à chaque passage le temps du dernier tour. Oui, c’est bien beau, sauf que je me rends compte rapidement que je suis incapable de calculer ma moyenne. Le panneau d’affichage indique à chaque tour son kilométrage, le temps de son dernier tour et le classement. Après 1 tour, ça donne 1,18 km, 7’56 et un truc comme 89 ou 90ème (de mémoire). Ce qui fait 8,93 km/h de moyenne sur ce premier tour mais ça je ne le saurais que le lendemain soir, quand j’aurais les résultats sur l’écran de mon ordinateur… J’ai bien essayé une fois ou deux de calculer un temps au tour pour me caler sur une bonne vitesse, mais j’ai renoncé parce que ça ne m’amusait pas.

 

Après quelques tours, tout le monde semble avoir pris son rythme. Les 3 hommes de tête courent en paquet compact et impressionnant de vitesse. Parmi eux, le futur vainqueur. Ils courent à plus de 11,5 km/h de moyenne en papotant tranquillement. Les filles vont un peu moins vite, mais elles tournent quand même drôlement bien. Sur ces premières heures, on prend la température et on essaye de trouver ses marques. Je découvre le signal sonore façon cloche de Big Ben qui sonne chaque heure. J’apprends à reconnaître les autres coureurs qui me dépassent ou ceux que je dépasse. Un petit mot à l’un, à l’autre. Même si la plupart du temps je n’ose pas trop engager la conversation le premier, de peur de déranger. Et puis je suis concentré. J’essaye de trouver une vitesse moyenne confortable. Mais je n’y arrive pas Je sens que je suis trop rapide. Sur le bord de la piste, mon beau-père me le confirme. Je suis trop rapide c’est évident. D’ailleurs je le dis en dépassant Christophe, un des Barjots des Cotos. Mais pourtant, je continue. Incroyable ! Je me suis un peu renseigné avant de m’engager sur ce 24h et ce que j’ai retenu c’est que les bleus comme moi partent toujours trop vite. Mais même en le sachant, je le fais… Une telle imbécillité me laisse pantois, analysée à froid. Au départ on se croit sûrement plus fort que ce que l’on est et on n’écoute pas la petite voix intérieure qui dit à chaque tour « ralentis, tu es trop vite »…

 

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Samedi – 17h


Je me suis arrêté quelques secondes pour saluer Miaou venue faire quelques photos et coucou à certains coureurs. Je suis encore frais, c’est le début de la course et bientôt après son départ nous passons le cap de la 6ème heure de course. Comme prévu dans mon plan, je m’arrête pour changer de tenue. Je retrouve Daniel à l’intérieur du gymnase qui m'interroge. Pour l’instant, tout va bien. Je sais que je suis parti trop vite mais je ne pense pas au retour de bâton qui va suivre. Je préfère ne pas y penser pour l’instant. Séance de crémage NOK des pieds, changement de chaussettes, et j’abandonne le tee shirt pour un maillot à manches longues. Durée totale de l’arrêt : 10’ tout rond comme prévu.

 

Je repars sur le tourniquet. La routine s’installe. Après 6h de course, on n’est plus sur des volumes de sortie longue, et je sens que ça se corse un peu. Philippe qui durant toute la course aura pris le temps de m’encourager souvent au milieu de son travail de coach des cracks, me dira que sur ces premières heures on sentait que je courais à un rythme qui n’était pas le mien et que j’y laissé beaucoup d’énergie. La suite ne sera que la confirmation de la justesse de cette analyse…

 

Lentement la nuit tombe. Mais nous avons de la chance, la température reste douce, et elle le restera toute la nuit durant. De mon côté, je continue depuis le tout début mon petit Cyrano aménagé à base de 29’ de course suivi d’une minute de marche. C’est le plan que je me suis prévu jusqu’au 100ème kilomètre, suite auquel je prévois de rapprocher les séances marchées. Ce rythme de 29/1 permet en outre de prévoir l’alimentation de manière très simple : à chaque 29ème et 59ème minute des heures, je marche pendant une minute et lorsque je repasse devant le ravito, je mange. Parfois, la minute marchée tombe à quelques mètres du ravito et je fais d’une pierre deux coups. Mais sinon, je reprends une minute de marche pour manger. C’est une autre constante que je respecterai jusqu’au bout : prendre toujours une minute pour manger tranquillement en marchant afin de ne pas brusquer le système digestif. Je ne souffrirai d’ailleurs d’aucun désagrément en la matière, mangeant et buvant à satiété sucré et salé à n’importe quelle heure et dans n’importe quel ordre, suivant juste mes envies du moment. Dans ces premières heures je tourne au riz au lait et à l’eau pétillante, avec de temps en temps un coca ou une compote.

 

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Après 6h de course j’ai parcouru 52 km soit une moyenne de 8,7 km/h depuis le départ. Je ne la calcule pas sur le moment, mais je me souviens que lorsque j’avais préparé mon plan de marche je m’étais dit que je ne devrai pas faire plus de 50 km les 6 premières heures. Je suis donc décidément trop rapide. Et le mal est fait.

 

Samedi – 21h

 

À la dixième heure de course je dépasse les 83 km et tout va encore bien. Ma moyenne a quand même baissé, je dois être aux alentours d’un peu plus de 6 tours à l’heure. À vrai dire je ne les compte pas, je me contente d’essayer d’être régulier. Sur les côtés, Daniel et Philippe ont disparu, ils ont du aller manger. Sur les terrains de football que nous longeons, il y a deux matches en cours. Je n’aime pas vraiment le foot, mais lorsque je passe à leur niveau, je regarde les joueurs, je vois même 2 buts des jaunes en direct ! Bref, on s’occupe l’esprit comme on peut…

 

Quelques mots échangés avec certains coureurs avec lesquels on se voit souvent. Devant, Ludovic Dilmi a laché ses poursuivants. Il semble très fort et à ce moment je me demande qui pourra aller lui contester la victoire. Philippe est revenu sur le bord de la piste. Je le vois qui suit attentivement la progression du leader. Il y a peut-être un maillot de l’EDF au bout ! Philippe encourage également les filles qui mettent du gaz.

 

Il y a une petite tension qui est en train de tomber sur le circuit. Tout le monde sent que les choses sérieuses vont commencer d’ici une paire d’heures… Après 12h de course, il faut être fort et les dégâts arrivent… Pour l’instant je vais bien, je continue avec mon rythme de 29’ de course et 1’ de marche puis boisson et nourriture régulière. Je m’attends à recevoir le contre-coup de mon départ trop rapide. J’espère juste que ça arrivera le plus tard possible. Je gérerai à ce moment-là comme je le pourrai…

 

Samedi – 23h15

 

Après 12h15 de course je dépasse enfin les 100 km. L’air de rien, cela faisait un moment que je m’étais fixé cette barrière. Lorsqu’on passe devant la ligne de chronométrage tous les 1180m, le compteur avance doucement. Alors on se fixe des objectifs intermédiaires pour ne pas « péter un câble ». Le premier objectif a été d’atteindre les 43 km, seuil de l’ultra au sens strict du terme. Une fois ce cap passé, le suivant était le double marathon que j’avais arrondi à 85 km par souci de commodité. Et une fois ce second cap passé, je m’attelais à atteindre le cap symbolique des 100 km. Pour en avoir discuté avec Mathieu et avec d’autres coureurs à la tombée de la nuit, tout le monde attend avec impatience ce passage. C’est un peu le premier objectif. Mais il m’aura fallu un temps interminable pour l’atteindre. Depuis le 85ème kilomètre je n’arrêtais pas de me dire : allez, plus que tant de km, ou tant de tours… et à chaque passage sur la ligne de chronométrage, toutes les 9’ et quelques, je voyais que je n’avais avancé que de 1180 mètres… Le mental en a pris un coup et j’ai laissé beaucoup d’énergie dans cette quête du 100ème kilomètre.

 

Le tour qui suit le 100ème kilomètre, je décide de faire ma seconde pause qui correspond à la pause de la seconde tranche de 6 heures. Cette fois ci je prends 15’ pour enfiler une deuxième couche en haut. Je conserve le corsaire car la température est encore bonne et on n’a pas froid aux jambes. Je croise Daniel qui me demande comment ça va. Je dois être un peu marqué j’imagine…

 

Dimanche 7 novembre – 00h

 

Le signal sonore du changement d’heure retentit. Le speaker annonce que c’est le changement de jour ; nous sommes dimanche. Je suis reparti depuis 30’ mais ce n’est pas ça. Mes cuisses brûlent, mes quadriceps sont en feu, et surtout j’ai le dos en miettes. Les lombaires ne me portent plus, chaque pas est une souffrance, et je me traîne avec des tours en 14’. Des concurrents me doublent en marchant.

Sur le bord de la piste, je confie à Daniel et à Philippe que je suis dans le dur mais que ça va passer. J’essaye surtout de m’en persuader ; c’est la méthode coué ! Philippe m’encourage en me disant que c’est normal après 13h de course, que c’est pareil pour tout le monde. Le tour suivant, comme à chaque fois, Daniel donne de la voix pour m’aider à avancer. Je tourne pourtant encore en 14’, le dos vraiment douloureux. Philippe me motive en me rappelant que je savais que ça serait dur et qu’il ne faut pas renoncer maintenant.

Après 4 tours de galère où, en plus des douleurs, le sommeil m’engourdit ; je décide d’aller m’allonger. Dans ma tête c’est le chaos. Je me sens minable. Je rentre au gymnase en voyant un pitoyable 109,87 km sur l’écran de contrôle. À cet instant, tout va mal niveau mental : je ne vois pas capable de repartir, je me dis que j’ai été bien prétentieux en pensant pouvoir faire entre 160 et 170 km. Je vais donc m’allonger en pensant rester là jusqu’au lever du jour et repartir pour arriver à 125 ou 130 km. Histoire de faire plus que ma plus longue course jusqu’à ce jour et les 115 kms de la 6666 Occitane. Je calcule qu’en marchant à 4 km/h entre 6h et 11h du matin, je devrais quand même pouvoir y arriver. Mais je sais que c’est surtout le mental qui est touché, l’orgueil en a pris un sacré coup.

 

Dimanche – 01h

 

C’est sur ces sombres pensées que je m’allonge sur le tatami. Certains coureurs dorment, Daniel en a fait de même ; être accompagnateur, ce n’est pas de tout repos. Malgré la fatigue et le coup de bambou mental, je pense à me changer et je m’enveloppe dans ma polaire pour ne pas avoir froid. Je bois également de la boisson énergétique que nous avons reçu lors du retrait des dossards. Je n’ai pas pour habitude d’en boire, mais je repense aux conseils de Philippe lors du trajet : profiter de la fenêtre réduite après l’effort pour refaire les stocks. Dans le ¼ d’heure qui suit, c’est le top. Alors je m’exécute. Dans mon idée, je repartirai dans quelques heures. Quand et pour combien de temps, je n’en sais encore rien… Puis je surélève mes pieds sur la chaise fournie avec le tatami. Cela fait un bien fou. Mon dos douloureux repose bien à plat sur le tatami dur, le confort est immédiat.

J’ai généralement du mal à m’endormir ailleurs que dans mon lit, aussi je pense que je ne pourrai que m’allonger. Mais c’est la sonnerie du passage à la 14ème heure qui me réveille. Je réalise alors que j’ai dormi, et plutôt bien, puisque une heure vient de s’envoler. Partagé entre l’envie de repartir et le besoin de se reposer encore, je décide de dormir jusqu’à 4h du matin avant un dernier rush de 7 heures. Pas le temps de faire plus de calculs je me suis déjà rendormi…

 

Dimanche – 03h15

 

Voilà quelques minutes que le speaker m’a réveillé en annonçant le passage à la 15ème heure de course. Cela fait 2h15 que je me suis arrêté. Je décide de me lever et de repartir. Je prends le temps de me réveiller doucement, et de m’habiller correctement. Je m’attends à avoir froid, aussi j’enfile deux couches manches longues, un collant long et prévois gants et bonnet. Nouvelle séance de crémage NOK, paire de chaussettes et slip de rechange. Et c’est presque tout neuf que je me relance dans le bain à 03h30 du matin. Le premier passage sur la ligne de chronométrage m’annonce un dernier tour en 2H40 soit 2h30 de pause dodo et 10’ pour boucler ce tour. Le suivant sera bouclé en 8’55 soit mon meilleur tour depuis la 10ème heure de course. Les sensations sont de retour. Je n’ai plus du tout mal au dos, quasiment plus mal aux cuisses. Par contre j’ai chaud. Le tour suivant sera bouclé en 9’55 avec 1’ d’arrêt aux stands pour poser gants et bonnet et prendre le lecteur MP3.

 

Dimanche - 03h30

 

Mentalement je suis un homme tout neuf ; ou presque ! J’ai mon lecteur MP3, de bonnes sensations pour autant qu’on puisse en avoir dans ces conditions et envie d’avancer. Sur les 5 dernières heures, je n’ai parcouru que 11,82 km. Autant dire qu’il va falloir ne plus connaître de défaillance pour accrocher une marque à peu près honnête. À cet instant, je ne pense plus à ma cible de 172 km, ni même à ma fourchette basse de 160 km. Je pense plutôt à accrocher les 143 km, voire les 150. Comme je me m’étais promis avant la pause dodo, j’ai rapproché mes séquences marchées avec 14’ de course pour 1’ de marche. Le rythme semble me convenir.

 

Dimanche – 04h00

 

La sonnerie que l’on connaît bien retentit pour annoncer le passage à la 17ème heure de course. Je regarde ma montre : il est bien 4h du matin. Je souris. Car c’est l’heure à laquelle, quatre à cinq fois par semaine, je me lève pour aller faire mes séances d’entraînement. C’est MON heure. Entre 04h et 07h du matin, mon corps a l’habitude de courir, mon esprit en a besoin. Le mental dictant sa loi, mon corps accepte cette idée et tous les signaux sont au vert. Le dos est nickel, les jambes retrouvent un second souffle. Et puis dans mes oreilles, je retrouve la motivation musicale : Pink Floyd, Sigur Ros, Red Hot Chili Peppers, Dire Straits, Mogwai, AC/DC…

Au détour d’un énième virage, j’aperçois Philippe qui me conseille : « c’est bien d’être reparti, remets toi en route doucement ». Et c’est bien ce que je compte faire. Je me cale sur un rythme qui me semble correct (7,5 km/h environ) et je vais enchaîner une bonne série d’une quinzaine de tours environ. La piste est calme, certains coureurs dorment, nous ne sommes pas nombreux à tourner entre 3h et 5h du matin…

 

Dimanche – 05h00

 

Daniel s’est levé et a rejoint le bord de la piste. Il me demande si j’ai bien dormi et je lui réponds que ça m’a fait un bien fou.

Je dépasse des coureurs, je suis dépassé par des coureurs. Les leaders accusent un peu la fatigue. Sylvie Peuch marche un moment, pas au top de sa forme mais ça va vite revenir. Maria Pierre est remotivée par son team et les entendre l’encourager me fait du bien, je prends une toute petite partie de ces encouragements pour moi. Histoire de trouver encore de la motivation à avancer.

Je me sens zen. Libéré. Dans un état second. Et la pluie qui arrive renforce cette plénitude. J’aime courir sous la pluie. Encore plus sous la pluie quand il fait nuit. Je suis donc doublement servi. Je fais quelques tours sous la pluie fine puis voyant que ça ne passe pas, je m’arrête un moment au gymnase pour revêtir une veste de pluie et prendre des gants au cas où. Je retire mon haut humide, enfile un tee shirt propre, une deuxième couche manches longues et enfin la veste Quechua que j’utilise en trail. Et c’est reparti une fois de plus.

La pluie s’intensifie. Je prends un peu de recul par rapport à ce que je suis en train de faire. Pour la première fois depuis le départ, je me vois courir. Je me dis qu’il faut être un peu dingue pour faire ce genre de trucs. Je ressens un peu de cette émotion qui m’avait étreint à certains moments pendant les 100 km de Millau il y a 6 semaines… J’ai une grosse boule dans la gorge en pensant à ce que je suis en train de faire, aux sacrifices pour la famille que j’ai laissée pendant tout un week end pour assouvir une passion égoïste. Et je me sers de cette énergie pour me motiver encore et encore.

 

Dimanche – 08h00

 

Cela fait une petite heure que j’ai un peu baissé de rythme. Nous approchons de ces fameuses dernières heures où coûte que coûte il faut trouver une raison pour avancer, même en marchant. D’ailleurs j’alterne des portions courues avec des portions marchées  sans trop faire de calcul. En prenant des repères visuels… Pendant plusieurs tours je respecte un petit rituel : marcher entre le début et la fin de la zone de ravito, puis courir jusqu’à la portion défoncée avec ces graviers, puis marcher jusqu’à la descente vers le stade de foot et courir jusqu’à la zone de ravito. Cela fonctionne plutôt bien, certains tours sont plus difficiles que d’autres mais globalement ça passe. Je vois que tout le monde peine, même les meilleurs ont vraiment baissé de rythme.

J’échange quelques mots avec Christophe, Franck, Line, Mathieu et puis avec d’autres que je connais moins. Mathieu m’impressionne. Il a le visage marqué par l’effort mais il conserve une belle foulée et je l’encourage pour qu’il aille dépasser les 180 km. Pendant ces dernières heures ce n’est que ça : à chaque fois que l’on dépasse ou que l’on est dépassé, ce sont des encouragements réciproques. Beaucoup de respect mutuel là-dedans ; ça fait du bien !

 

Il est un peu plus de 8h du matin lorsque je dépasse les 143 km qui étaient ma marque espérée lorsque je me suis couché quelques heures plus tôt. Je décide de continuer pour atteindre les 150 et je le dis à Daniel.

 

Dimanche – 09h00

 

Après 6 tours consécutifs pendant lesquels j’ai beaucoup marché et éprouvé un mal fou à tenir le 6,5 km/h de moyenne, je retrouve un troisième souffle à l’aube de la 22ème heure. Dans ma tête tout est simple : il ne reste que 2h soit une sortie classique comme ça m’arrive d’en faire le matin avant d’aller au boulot.

La barrière des 150 km est franchie un peu après 9h00 du matin. Je calcule que quand même, 10 bornes en 1h30 ça doit se faire et que ça vaut au moins le coup d’essayer pour ne pas repartir déçu de la marque.

 

J’indique donc à Daniel et à Philippe que je vais chercher les 160 et que je ne m’arrête pas à 150 comme je l’ai envisagé un moment à 7h du matin. Du coup je recommence à bien tourner, avec des tours courus entre 7,5 et 8,5 km/h. Parfois je marche un peu plus, parfois j’arrive à accomplir 2 tours en courant non-stop. Avec la fatigue, je manque un peu de lucidité et je ne regarde plus trop ma montre pour me caler sur mon Cyrano 14/1. J’avance, tout simplement, concentré sur le panneau d’affichage à chaque passage de la ligne.

 

Dimanche – 10h40

 

160 km atteints. Ouf ! Je suis soulagé, intérieurement c’est une véritable libération. Je suis exténué mais je continue malgré tout… Comme me le dit Philippe sur le bord de la piste : « 160 ouais c’est bien mais 161 c’est mieux, allez ! » et je poursuis mon effort… Sur la piste beaucoup marchent de guingois, les jambes tirent, les corps grincent, les visages grimacent. Et les encouragements mutuels s’étoffent.

 

À 10h59 la sirène retentit : plus qu’une minute avant l’arrêt. Je décide donc de piquer un sprint à 7,5 km/h (quel sprint !) afin de pousser au mieux la marque. Mais mon corps est un diesel en panne qui n’a plus d’essence ni de moteur, qui n’a plus rien. Je suis rincé, au bout du bout. Deuxième sirène : STOP, il est 11h00 tout le monde s’arrête.

 

Le hasard veut que je me trouve juste avant la petite descente, en compagnie de Franck des barjots des Cotos. Tout le monde semble épuisé, éreinté par cet effort mais heureux. Les bénévoles viennent placer des marques au sol pour mesurer la distance parcourue dans le dernier tour. Il s’agira de 765m pour moi, ce qui portera ma marque totale à 163,8 km (138 tours).

 

Après avoir regagné le gymnase en compagnie de mon beau-père, je reste un moment assis sur le tatami ; l’esprit encore quelque part sur la piste… Mathieu arrive en compagnie de soigneurs, les pieds nus et boitant bas. J’ai peur qu’il ait une entorse mais il s’agit en réalité d’une grosse inflammation du tendon d’Achille. Son tendon est rouge et a bien gonflé, c’est impressionnant à voir. Il nous explique qu’il pense que c’est dû au frottement des chaussures et qu’il a ressenti ça depuis 8h du matin. Mais comme il y avait une place à jouer (12ème scratch avec 185,9 km) il n’a pas voulu baisser pavillon… Nous le confierons aux mains des soigneurs après la douche qui fait un bien fou.

 

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La suite est un peu précipitée car le podologue qui s’occupe de Mathieu lui conseille d’aller faire une IRM de contrôle. Nous partons donc rapido à peine la remise des prix effectuée, sans même prendre le temps de manger. Dans la voiture, tout le monde somnole et un arrêt café requinque toute la troupe. Après l’avis d’un kiné, nous décidons que Mathieu ira faire une IRM chez lui à Toulouse le lendemain. Son avion décolle de Lyon à 20h00, il ne faut pas traîner. Après un petit passage éclair d’une heure à la maison où je retrouve toute la petite famille, je raccompagne Mathieu à l’aéroport où je le laisse aux bons soins des hôtesses d’Air France…

 

Le bilan.

 

Le bilan est sans appel. Je n’ai pas atteins ma cible visée de 172 km. Et je m’en veux parce que je sens que c’était tout à fait dans mes cordes. Il m’aurait fallu éviter plusieurs erreurs :

-      départ trop rapide. Il suffit de regarder les temps au tour pour s’en rendre compte. 28 des 33 premiers tours ont été courus à plus de 8,5 km/h dont 17 l’ont été à plus de 9 km/h. Alors que je ne devais pas dépasser les 8,5 de toute la course…

-      Cyrano non travaillé : la transition course / marche ça se travaille et ce n’est pas inné, en tous cas, ça ne l’est pas chez moi…

-      sommeil et repos : je suis arrivé un peu fatigué sur cette course et ça ne pardonne pas ; il faut être au top.

 

Il y a sûrement d’autres erreurs de faites, mais cela fait partie du jeu ; j’aurais aimé faire une super marque, mais on ne peut pas tout avoir tout de suite, ça fait perdre du charme au truc. Du coup, il faudra que je revienne pour faire mieux. Et pourtant pendant la nuit à un moment qui n’allait pas du tout je me suis dit « plus jamais » et pourtant… On connaît tous ça ; c’est la magie de l’ultra !

 

Il y a aussi des côtés positifs, et nombreux ! C’est une expérience d’une rare intensité qui nous permet d’en apprendre encore un peu plus sur nous-mêmes. Je crois qu’on ne peut pas revenir d’une course pareille tout à fait intact. C’est quelque chose d’absolu qui, comme on l’entend souvent, va bien au-delà de la compréhension. 

 

Ces 24h clôturent ma saison de course à pied. Avant d’en faire un bilan à froid, je vais donc me prendre 2 ou 3 semaines de repos bien mérité et cogiter sur mon programme 2011.

Rédigé par Oslo

Publié dans #Ultra - Course

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M
<br /> Bravo, tu peux être fier de toi et de ta marque. Mourant en cours de nuit , tu as su revenir fort et aller chercher un beau kilométrage.<br /> Le truc inquiétant, c'est que ça donnerait presque envie d'essayer pour connaître ce genre de sensations...<br /> <br /> <br />
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Y
<br /> Alors là chapeau, quelle belle saison d'ultra ! Avec l'expérience et une prépa un peu plus optimisée tu devrais pouvoir faire encore mieux sur 24h ... Penses quand même bien à te reposer (perso 2<br /> semaines je crois que ce n'est pas assez mais bon ...) car c'est aussi dans ces périodes creuses que l'on prépare les prochaines échéances ...<br /> <br /> a+<br /> <br /> yann<br /> <br /> <br />
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O
<br /> <br /> merci yann, je te confirme que le repos est le bienvenu et durera 3 semaines ce qui ne sera pas du luxe après plus de 5100 km courus depuis novembre 2009 :)<br /> <br /> <br /> <br />
H
<br /> là tu m'épates, enchainer 260km de course sur route sans compter les entrainements franchement chapeau! Avec ces expériences tu vas avoir un mental de winner désormais ;) Bon quand est ce que tu<br /> retrouves les vrais sentiers, les vrais cailloux???A+<br /> <br /> <br />
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O
<br /> <br /> ah ah pour les sentiers, ça va reprendre en décembre et intensivement en janvier...<br /> <br /> <br /> <br />
B
<br /> Salut Oslo, c'est le premier CR de 24h que je lis et comme tu m'as donné envie de courir la 6666, j'ai maintenant envie de me lancer sur 24h :D<br /> En tout cas bravo belle course et beau recul qui te permetras de progresser.<br /> <br /> B.<br /> <br /> <br />
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O
<br /> <br /> Salut B ;) tant mieux si ça t'a plu, ça ne vaut pas une 6666 mais c'est autre chose, différent ;)<br /> <br /> <br /> <br />
A
<br /> Quelle expérience pour le futur, toujours cool de lire tes CR, à bientôt peut-être, bonne récup<br /> arnaud<br /> <br /> <br />
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O
<br /> <br /> salut arnaud. merci à toi, je ne te dis pas RDV à la 6666 car je n'y serai pas cette année ;)<br /> <br /> <br /> <br />